Référendum: quand les chiffres n'ont pas d'importance!


Dès que l'ISIE a annoncé les résultats préliminaires du référendum, le président Kais Saied est allé à la rencontre de son "peuple" acclamant l'événement historique, en passant par cette "victoire remarquable" à une "république selon les perceptions du peuple", ajoutant que "le passage en république se fera selon la perception du peuple... Nous ferons des miracles et il n'y a pas de miracles."

Pour les Tunisiens..." Alors que le président affirmait à la même occasion que les votes des électeurs pour la constitution étaient élevés, les chiffres définitifs annoncés par la commission démentaient cela, puisque le nombre de participants, participantes atteignait 2830094, soit 30,5% du total des inscrits seulement, alors que le nombre de ceux qui ont voté oui s'élevait à 2607884, c'est-à-dire qu'il n'est que de 28,1%.

Donc, comment comprendre cette "victoire historique" selon la vision du président Kais Saied ?

Référendum présidentiel: Un parcours antidémocratique

Si le référendum est une méthode de démocratie directe, alors le processus de préparation et de réalisation doit également être démocratique.

Au regard du déroulement du référendum du 25 juillet 2022, on constate l'absence de tous éléments de transparence et de délais raisonnables pour la tenue d'un référendum sur un document fondamental, la constitution.

En effet, plusieurs indicateurs de manque de transparence ont émergé, notamment:

  • Le président a révoqué les membres de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections et les a remplacé par des membres qu'il a lui-même nommés « conformément au décret n° 22 du 21 avril 2022 ». Le président a le dernier mot sur ces membres.
    Puis la loi relative aux élections et au référendum a été révisée par le décret n° 34 du 1er juin 2022, qu'il avait modifié par le décret n° 32 du 25 mai 2022. Ces révisions répétées ont resserré l'étreinte du Président et de son pouvoir exécutif sur le processus.

  • Nommer les commissions qui supervisent la préparation de la constitution et proposer des réformes majeures selon le décret n°34 du 19 mai 2022. Ces commissions ne respectaient aucune règle de transparence ou de représentativité, et dont personne ne sait jusqu'à aujourd'hui comment elles fonctionnaient, surtout après que tous les doyens des facultés de droit aient refusé de les rejoindre. Aussi, le président a rejeté le projet de constitution soumis par le comité, publiant son propre projet de constitution le 30 juin 2022 et l'a révisé dans une version mise à jour le 8 juillet 2022.
  • Pendant ce temps, le travail de l'ISIE a manqué toute transparence dans le calcul du nombre d'électeurs inscrits, puisqu'elle déclare parfois que le nombre dépasse 9 millions 300 000 puis diminue à 9 millions 60 000... sans explication sur le méthode de calcul et sources de données.

Des délais raisonnables et acceptables sont un élément essentiel pour rendre le processus électoral et référendaire acceptable et légitime. Cependant, le président a sa conception du temps.

Depuis le lancement légal du référendum par la révision de la loi sur la commission électorale jusqu'à la tenue du référendum sur la constitution, le dossier n'a pas pris plus de 3 mois. En ce qui concerne la composition de la commission, le changement de son positionnement régional, l'affectation des agents, la mise à jour des listes des inscrits .. et la rédaction de la constitution.

La « campagne référendaire », qui n'a duré que 15 jours, du 8 au 23 juillet. Tout cela n'aurait laissé aucun espace à la lecture, à la discussion, au débat et à la polémique.

Tous ça a abouti à la remise en cause par le chef du comité de rédaction de la Constitution du texte du président de la République, représentant des violations massives illégitimes au processus référendaire. C'est ce qui a poussé la plupart du spectre politique et civil à le boycotter.

Un référendum sans garantie de légitimité

Les référendums, en particulier ceux dont le sujet est le document suprême de l'État, sont généralement entourés des plus hautes garanties de légitimité, ce qui conduira à leur acceptation.
Mais, ce référendum n'a inclus aucune de ces garanties dans les textes successifs émis par le Président de la République, ni ceux émis par la Commission électorale.

Pire que cela, le projet de constitution stipule que « la présente constitution entrera en vigueur à compter de la date à laquelle l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections proclamera le résultat définitif du référendum », sans préciser que le référendum doit être "Oui" et "Non", ou qu'il y ait un pourcentage ou un seuil pour cela.

Pour le président l'affaire est réglée et la constitution passera peu importe les résultats.
Cette certitude de l'adoption d'un texte de loi ou du succès de tout processus électoral ou référendaire ne se retrouve que dans les dictatures.

Est-il raisonnable d'exiger un seuil lors de tout référendum sans exiger aucun seuil lors du référendum du peuple tout entier sur le texte suprême de l'État? Comment des implications juridiques importantes peuvent-elles être représentées dans l'approbation d'une constitution pour un État avec l'abstention de plus de 70% des citoyens inscrits de participer au référendum?

Moi, personnellement je n'ai pas participé à cette mascarade, pour une constitution qui va éradiquer le caractère civil de l'Etat. Il faudra juste attendre patiemment que la cacophonie et que les conséquences du funeste article 5 fassent leur effet.

De toutes les façons, ces résultats préliminaires étaient attendus malgré la mobilisation de toutes les agences de l'Etat, la promulgation des décisions électorales populaires par le Président de la République, le paiement anticipé des salaires des retraités, l'évolution des conditions d'inscription dans les écoles et les instituts modèles. Ainsi que sa rupture de silence électoral à sa sortie du bureau de vote en invitant les électeurs à voter oui.

Ces chiffres ne signifient rien pour le président Kais Saied et n'ont aucune valeur pour lui. Le président de la République avait constitutionnalisé les résultats de sa consultation nationale, malgré la participation de seulement 534 000 personnes à celle-ci... Car seul le président parle au nom du peuple, car il est le peuple.

 

 

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Kabil El Ouerghemmi




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