Données ouvertes et recherche scientifique : quel engagement national pour la science ouverte?


Depuis les années 2000, le libre accès aux données occupe une place de plus en plus stratégique dans les politiques de recherche. Ces enjeux ont été relayés par des professions intermédiaires, qui ont développé des services dédiés, destinés à accompagner les chercheurs dans l’application des recommandations de gestion et d’ouverture. Ces données à caractère quantitatif ou qualitatif, sont parfois les piliers fondamentaux de certains projets de recherche. Ces derniers pourraient être soumis à un système de blocage sous-prétexte de maintenir l’ordre public ou en absence réelle de données.

Selon « Data Europe » : « Les données ouvertes sont les informations que les organismes publics recueillent, produisent ou achètent (aussi appelées « informations du secteur public») et qui sont mises à disposition gratuitement en vue de les réutiliser à d’autres fins. »

Par la suite, « la directive sur la réutilisation des informations du secteur public fournit un cadre juridique commun pour le marché européen des données que l’administration détient. Il s’articule autour des piliers du marché intérieur : la libre circulation des données, la transparence et la libre concurrence » (ibid.). En Tunisie, nous disposons déjà d’un cadre juridique régissant les données ouvertes.

Toutefois, Il est important de noter que toutes les données publiques ne sont pas nécessairement des données ouvertes. Mais toutes les données publiques pourraient être utiles à la recherche scientifique.

En effet, la recherche scientifique pourrait profiter de ces données afin d’améliorer non seulement notre contexte général mais également celui des administrations publiques, qui partagent leurs données ouvertes étant donné que la performance peut être améliorée grâce aux données ouvertes, ce qui contribue à renforcer l’efficacité des services publics.

Les données ouvertes permettent également d’améliorer la culture de collaboration, de participation et d’innovation sociale. Les chercheurs deviennent à la disposition des différents acteurs afin de proposer d’autres modèles de fonctionnement.

Exemples de projets scientifiques se basant sur les données ouvertes

Bien que l’expérience tunisienne soit limitée à certaines institutions publiques qui ont mis leurs données à la disposition du public, ou des institutions qui n’hésitent de fournir les informations réclamées par tout citoyen, certains exemples sont à suivre dans le monde.

A titre d’exemple, depuis 2020, la Direction des données ouvertes de la recherche (DDOR) a été créée en France. Cette direction est rattachée à la Direction générale déléguée à la science (DGDS) et résulte de la fusion de la Direction de l’information scientifique et technique (Dist) et de la mission Calcul Données (MiCaDo). La Direction des données ouvertes de la recherche (DDOR) élabore et met en œuvre la politique du CNRS relative aux données, comprises au sens le plus large du terme, qu’elles soient issues d’expériences ou de simulations, constituées de textes, documents, logiciels… ou encore sous forme de publications, dans une optique d’ouverture définie par la Feuille de Route pour la Science Ouverte et le Plan « Données de la recherche ».

En France également, une plateforme de jeux de données[1] a été mise à la disposition des utilisateurs afin d’avoir une idée sur le fonctionnement de l’enseignement supérieur, les structures de recherche, et le taux d’employabilité et d’insertion professionnelle. Il s’agit de 140 jeux permettant aux experts en didactique et autres, d’analyser le contexte pour proposer des recommandations scientifiques.

Nous avons lancé une étude auprès des chercheurs Tunisiens mais le nombre insuffisant de réponses, nous empêche de partager les résultats à ce stade. Cependant, il est à mentionner que :

  • Les chercheurs des sciences sociales et humaines ont déposé autant que les chercheurs des sciences exactes au moins une demande d’accès à l’information.
  • Certains chercheurs ont déposé plus que dix demandes d’accès à l’information
  • Certains chercheurs ont reçu un refus d’accès et d’autres non, sans indication du motif du refus.
  • Les chercheurs qui ont moins de 65 ans ont plus tendance à faire la demande d’accès d’information en ligne.

Les données de la recherche : un sujet stratégique

Bien que le sujet de cette intervention s’articule autour de l’usage des données ouvertes par les scientifiques, il faudra se demander également quelle est la suite des données issues de la recherche scientifique. 

En effet, les données de la recherche sont des informations collectées par les scientifiques dans la perspective d’être utilisées comme preuves d’une théorie scientifique.

D’ailleurs, la question des données est un sujet stratégique, qui a fait l’objet d’un rapport français «Pour une politique publique de la donnée » paru en décembre 2020. Il rappelle fortement les enjeux autour des données scientifiques comme vecteurs de connaissance. Ce rapport mentionne que « si [la] culture du partage entre équipes de recherche était mieux ancrée, la prise en charge et le traitement de la Covid19 auraient été certainement plus performants et plus réactifs pendant la crise. »

De même, le rapport de la Commission européenne "Cost of not having FAIR research data" paru en 2019, estime que le coût de la mauvaise gestion des données de la recherche se chiffre à 3 milliards d’euros pour la France, dû aux pertes de temps, à la non optimisation des coûts de stockage, aux frais de licence, aux problèmes de duplication de la recherche, au manque de fertilisation croisée.

L’ambition est de répondre en partie à cet enjeu stratégique par la proposition d’une plateforme nationale de données de la recherche.

Un service générique national de données : un engagement du plan national pour la science ouverte

La situation en matière de gestion des données de recherche est à l’heure actuelle, relativement critique en Tunisie. Nous disposons d’un répertoire de thèses, mais est ce que tous les thésards ajoutent leurs thèses dans ce répertoire ? Que dire alors des recherches individuelles ou des ouvrages collectifs, qui ne s’affichent pas dans une seule base. Nous souffrons déjà d’un problème au niveau du stockage, de perte des données au moment où un chercheur quitte le laboratoire, absence de solution pour stocker et ouvrir de manière pérenne des données collectées lors d’un projet de recherche, impossibilité de reproduire les résultats d’une recherche scientifique car les données et le code ne sont pas accessibles ou sont mal documentés et non réutilisables. Il s’agit tout simplement d’un « gouffre de données inutilisées », mis à part l’absence de processus de promotion des données scientifiques auprès du grand public. A quoi sert alors la recherche scientifique ?

Cette situation nous amène à réfléchir sur deux axes :

  • Faciliter l’accès des chercheurs aux données ouvertes en reconnaissant son statut de chercheur et non pas de simple citoyen
  • Développer un service générique d’accueil et de diffusion des données scientifiques

 

Il ressort de l'étude de la situation actuelle de la relation des chercheurs avec les données ouvertes, que l’attente la plus forte porte sur l’accompagnement à la préparation et à la description des données.


Références :

[1]https://data.enseignementsup-recherche.gouv.fr/explore/?flg=fr&sort=modified, consulté le 23/03/2022

[2]« Les données de la recherche : un sujet stratégique », https://www.ouvrirlascience.fr/les-donnees-de-la-recherche-un-sujet-strategique/, consulté le 20/03/2022

[3]Data Europe, https://data.europa.eu/fr/trening/what-open-data, consulté le 23/03/2022

[4]Sciences ouvertes, https://www.science-ouverte.cnrs.fr/ddor-cnrs-direction-des-donnees-ouvertes-de-la-recherche/consulté le 23/03/2022


Remarque:  Cet article est issu d'une intervention faite par l'auteure lors de la célébration de la journée nationale de l'accès à l'information organisée par l'Instance Nationale de l'Accès à l'Information (INAI).

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Nouha Belaid




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