De l'intérieur du bus numéro 63: je vous raconte mon voyage quotidien avec le racisme


Ces dernières années, la Tunisie a attiré des milliers d'Africains subsahariens, que ce soient des étudiants, ou des ouvriers travaillant dans différents secteurs. La plupart d'entre eux ont choisi de vivre au gouvernorat d'Ariana. Aujourd'hui, je vais vous raconter mon expérience avec le bus numéro 63 en direction de Mansoura.

Au fil des jours, j'ai été interpellée par la façon dont les Tunisiens traitent les passagers africains subsahariens du bus numéro 63: le racisme, les railleries et l'intimidation injustifiée. Bien que de nombreux habitants du sud de la Tunisie aient la même couleur de peau, d'autres se plaignent de leur nombre. Ils considèrent qu'ils sont à l'origine de l'affliction. De quelle affliction parlent-ils ? 

Pratiques, propos racistes et conditions de travail précaires

Les pratiques envers les Africains sont devenues intolérables dans un pays connu pour sa tolérance et son ouverture. On se souvient de nombreux incidents racistes, notamment, l'assassinat du chef de l'Association communautaire ivoirienne en Tunisie « Falikou Coulibaly » en décembre 2018 à la Soukra. C'était suite à un braquage mené par des Tunisiens. 

Rappelons aussi l'histoire des trois étudiants congolais agressés par un jeune tunisien en 2016,ainsi que la célèbre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux en septembre 2020, documentant la violence d'un opérateur tunisien contre un jeune africain qui a exigé le paiement de 6 mois de travail. Bref, la liste des incidents contre les africains subsahariens en Tunisie, est longue.

Ce qu'ignorent certains Tunisiens fanatiques, c'est que les Africains subsahariens travaillent dans des secteurs fragiles comme la construction, l'agriculture, le ménage et autres contre des salaires précaires et sans couverture sociale ou un contrat de travail garantissant leurs droits. De même, la situation de la majorité des Africains subsahariens en Tunisie est illégale. Ils ont du mal à obtenir une carte de séjour, même temporaire, et la police n'est pas coopérative,  selon plusieurs déclarations émises par des organisations de défense des droits de l'Homme à cet effet, telles que l'Association Tunisienne de Soutien aux Minorités.

Des situations fragiles et des situations sociales misérables vécues par ces Africains dans notre pays, mais ils ont choisi de garder le silence et de rester isolés, afin de gagner leur vie dans la paix et la tranquillité. Or sans aucun doute, des pratiques inhumaines ont laissé en eux des perturbations psychologiques, ce que je constate quotidiennement dans leur regard, et dans leur contemplation. Comme si leurs yeux voulaient transmettre le message "On ne fait mal à personne... On nous fait du mal".

Des règles écrites sur papier et non pas concrétisées

La Tunisie, malgré son ouverture, et son soutien aux droits de l'homme, étant donné qu'elle est le premier pays à avoir aboli l'esclavage dans le monde et ce, en 1846, et a promulgué en 2018 une loi criminalisant le racisme en 2018, tout cela reste écrit sur papier sans qu'il soit concrétisé.

En effet, la loi n° 50-2018 sur la discrimination raciale impose des peines pouvant aller jusqu'à des peines d'emprisonnement et des amendes à l'encontre de quiconque commet un acte ou une déclaration comportant de la discrimination raciale, incite à la haine, à la violence, à la discrimination, à la séparation et à l'exclusion, ou menace une personne ou un groupe de personnes sur le base d'une race et d'autres actes odieux.

Cette loi, malgré son importance, n'était pas assez véhiculée dans les médias, ou même les réseaux sociaux. Peu de Tunisiens connaissaient ses détails, mais le plus grand obstacle à son application reste les conditions sociales vécues par les victimes, qui empêchent la nomination d'un avocat pour suivre leur dossier.

Enfin, la question de la discrimination raciale reste un problème éternel qui nécessite de nombreux arrêts pour freiner sa propagation dans notre pays. Il faut démarrer par son traitement dans les programmes scolaires et dans les médias, en menant des campagnes, des spots de sensibilisation. Il faut aussi impliquer les acteurs et associations actifs dans le domaine des droits de l'Homme et de la défense des droits des minorités pour trouver des solutions radicales. Ceci permettra de se débarrasser une fois pour toute des comportements réactionnaires.

 

 

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Amira Cherni




Amira Cherni